GALERIE MATHIEU NÉOUZE
France | Stand 24
Le Salon du dessin, grand rendez-vous des amateurs d’arts graphiques, ne pourra avoir lieu cette année. Mais, en attendant l’édition 2021, le marché du dessin poursuit son cours malgré la crise. La galerie Mathieu Néouze, à Paris, présente ce dessin à la mine de plomb et aquarelle sur papier. Le prix annoncé est de 9 000 euros.
Même si son trait précis et son atmosphère étrange rappellent les feuilles des artistes symbolistes, ce dessin date bien de la fin du XXe siècle. Il est d’ailleurs daté 1979 en haut à gauche. Le rapprochement de cette œuvre de Nall (Fred Nall Hollis, né en 1948 à Troy) avec celles de Khnopff, Lévy-Dhurmer ou Mossa n’est pas qu’une question de style. On peut dire qu’ici il s’agit aussi de pedigree puisque ce Double portrait au pantin a appartenu à Jean-Roger Soubiran, l’ancien directeur des musées de Cannes et de Toulon, spécialiste et auteur de la monographie parue en 1985 sur Gustav Adolf Mossa (1883-1971). C’est dire combien ce dessin, appartenant aux premières années de l’artiste américain à Paris, devait rappeler au collectionneur l’ambiance fin de siècle qui traverse l’œuvre de l’artiste niçois, mort la même année que l’entrée de Nall aux Beaux-Arts de Paris.
« Ses années de formation, rappelle Mathieu Néouze à propos de Nall, sont marquées par de nombreux voyages qui influencent le développement de son langage artistique : Moyen-Orient, Maghreb, Inde et Mexique, sans oublier son Alabama natale, font partie de ses influences visuelles tout comme le fauvisme, l’impressionnisme et l’art psychédélique américain. Sa rencontre avec Dali est significative ».
Ingres et Wacker
Ne retenir de son apprentissage que les facettes colorées et psychédéliques serait injuste car Nall possède également un immense talent de dessinateur. Un trait précis et sûr comme dans les portraits à la mine de plomb que le grand Ingres faisait de ses commanditaires. Un sens de la couleur qui lui fait placer là une touche de rouge, là un éclat de jaune, montrant sa parfaite connaissance des maîtres anciens.
Mais que voit-on sur ce dessin ? Laissons au galeriste le soin de l’interprétation : « Un pantin aux jambes désarticulées et aux genoux en sang, portant des chaussures de femme à talon et exhibant une évidente érection dans son slip jaune, semble avoir été séparé de sa tête qui apparait plus bas, à ses pieds, cabossée et abîmée jusque dans les détails de son regard mélancolique et bleu qui n’est pas sans évoquer la disgrâce des mannequins de l’allemand Rudolf Wacker ». Cet artiste autrichien, qui s’est rapproché dans les années 1920 de la Nouvelle Objectivité de Dix et Grosz, a en effet peint des mannequins plus vivants que des humains dans des compositions bourrées de détails.
Au deuxième plan du dessin de Nall surgit un homme noir, crayonné à la mine de plomb, aux yeux fatigués et injectés de sang. Faut-il y voir une référence aux esclaves noirs de l’Alabama raciste, figurant dans les tableaux de certains musées américains ? Comme ceux peuplant les toiles de William Aiken Walker sur les plantations de l’Amérique sudiste, œuvres traduites en chromolithographies et qui ont largement circulé dans tout le Sud, de la Caroline à la Louisiane. Cette haute feuille, au dessin puissant, possède une indéniable force d’attraction par cet étrange collage de formes et par son sujet mystérieux et érotique.
Ce dessin est estimé 9 000 euros et proposé à la vente par la galerie Mathieu Néouze.
Contact : mathieu.neouze@gmail.com
Un article de Guy Boyer
Rédacteur en chef de Connaissance des Arts