GALERIE DE LA PRÉSIDENCE
France | Stand 36
A défaut de pouvoir vous retrouver au Palais Brongniart, chaque galerie du Salon du Dessin vous dévoile l'un de ses dessins coups de cœur. La galerie de la Présidence présente sur son site une aquarelle et gouache sur papier de Jean-Louis Forain. Son titre, L’Aparté, confirme qu’il s’agit bien d’une discussion entre trois bourgeois et une femme de petite vertu, sans doute une scène de prostitution au théâtre.
Moins bien connu qu’Édouard Manet ou Edgar Degas, Jean-Louis Forain (1852-1931) a pourtant beaucoup de points communs avec ses illustres contemporains. Arrivé à Paris en 1860, lors du déménagement de son père peintre en bâtiment, il étudie la peinture et le dessin auprès du Toulousain Louis-Marie-François Jacquesson de la Chevreuse. Il rentre ensuite aux Beaux-Arts dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme qui, assure Forain, « ne lui a pas appris grand-chose ». Le sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux le prend dans son atelier en 1869, où il se forme au sens du volume et aux traits rapides du pinceau car son maître est également peintre à ses heures.
Un jeune peintre remarqué par Manet
Après la dure guerre de 1870 contre les Prussiens, Forain connaît la vie très aléatoire des rapins (peintres apprentis), celle décrite par Henry Murger dans ses Scènes de la vie de bohème. Comme le peintre Marcel (dont le modèle est François Tabar, un élève de Paul Delaroche) du roman, il côtoie journalistes et poètes. Il rencontre Paul Verlaine et Arthur Rimbaud, avec lequel il partage une chambre rue Campagne-Première en 1872. Il tente de fréquenter une société de gens cultivés, devient familier des salons de Nina de Callias et de la comtesse de Loynes, et se rapproche des artistes indépendants, avec Manet et Degas à leur tête. Ce dernier le remarque et, voyant ses premières œuvres marquées par les recherches des futurs impressionnistes sur la couleur et la lumière, s’écrit : « Ce jeune homme vole de nos propres ailes ».
Forain caricaturiste de la vie mondaine
Pour subsister, Forain fait comme tous ses contemporains et donne des illustrations pour les journaux satiriques. Il publie en 1876 dans La Cravache parisienne, Le Scapin et La République des lettres. Il faut dire que sa proximité avec le caricaturiste André Gill, au début de sa formation, a dû beaucoup lui servir pour apprendre à croquer la vie moderne. Il dessine les bourgeois aux spectacles, dans les cafés, dans la rue ou sur les champs de course.
Notre aquarelle, intitulée L’Aparté, remonte justement à ces années 1878-1879, avant la reconnaissance officielle de Jean-Louis Forain, avant qu’il n’ait sa loge à l’Opéra et sa table chez Maxim’s.
En 1878, il a fait le portrait de Huysmans, le poète décadentiste. Il va bientôt exposer à la quatrième Exposition impressionniste (une participation suivie par trois autres aux Expositions impressionnistes de 1880, 1881 et 1886). Cette présentation publique a lieu au 28 avenue de l’Opéra. Forain expose auprès de Caillebotte, Degas, Pissarro ou Mary Cassatt. Monet a refusé d’y participer mais Caillebotte fait tout de même venir ses Vues de Vétheuil et sa Rue Montorgueil pavoisée.
En 1879, Forain présente donc 26 œuvres (toiles, écrans, éventails et dessins). Deux d’entre elles s’intitulent Coulisses de théâtre (dont l’une appartient à Huysmans) et une apparaît sous le titre d’Entracte.
Scène ordinaire de prostitution
L’aquarelle et gouache sur papier de la galerie de la Présidence s’apparente aux envois de Forain à l’Exposition impressionniste de 1879.
Son thème est la rencontre de trois bourgeois et d’une prostituée dans un théâtre. Le décor est réduit à sa plus simple expression, deux murs blancs en angle et laissant deviner, à l’arrière-plan, une salle éclairée par un lustre. Il doit s’agir de l’entracte ou de la fin d’une représentation. Il n’y a que ces trois hommes en hauts-de-forme et moustaches et cette femme en robe rouge et manteau blanc.
C’est une scène ordinaire de la vie publique parisienne puisque les lieux de spectacles, théâtres ou opéras, sont des espaces de prostitution reconnus. Forain oppose ici la « cocotte », dont la robe est saisie en touches vigoureuses, aux trois « gommeux » engoncés dans leurs manteaux bruns ou noirs. Trois rapaces qui semblent scruter celle qui désire se faire passer pour une colombe. « Le trait, rappelle Florence Chibret, la directrice de la galerie de la Présidence, comme toujours chez Forain, est incisif et jamais loin de la caricature ».
Signée en haut à droite, cette œuvre proposée à la vente par la galerie La Présidence est estimée 56 000 euros.
Plus d’informations : contact@presidence.fr
Un article de Guy Boyer
Directeur de la rédaction de Connaissance des Arts