MARTIN MOELLER & CIE.
Germany | Stand 21
A défaut de pouvoir vous retrouver au Palais Brongniart, chaque galerie du Salon du Dessin vous dévoile l'un de ses dessins coups de cœur. La galerie Martin Moeller présente sur son site une aquarelle sur papier de Ernst Wilhelm Nay, intitulée Sans titre (Rondelles), datée de 1959 et estimée à 85 000 euros.
Ernst Wilhelm Nay (1902-1968) est quasiment inconnu en France, au même rang que toute la création allemande des années 1950 à 1970, comme si, pour les amateurs d’art de ce côté-ci du Rhin, il n’y avait rien entre la Nouvelle Objectivité allemande de l’entre-deux-guerres et les grands noms des années 1960-70, les Baselitz, Richter, Lüpertz et autres Penck. Oublié en France l’art informel de Zen 49 (Willi Baumeister, Rupprecht Geiger), du groupe Zero (Heinz Mack, Otto Piene) ou le Junge Westen (Emil Schumacher), auxquels il faut rajouter la figure majeure de Ernst Wilhelm Nay. Car tout le monde s’accorde à dire que Nay est l’un des grands artistes modernistes allemands de l’après-guerre.
Du néoréalisme expressionniste à l’abstraction
Né à Berlin en 1902, où il a fait ses études à la Kunstakademie chez Karl Hofer, Nay est influencé par Matisse, Kirchner, Chagall et le cercle du Sturm, cette revue lancée par Herwarth Walden où collaborent Kokoschka, Pechstein et Heckel. On trouve Nay à Paris en 1928, à Rome en 1930, puis à Oslo en 1936.
Ses premières productions relèvent encore de l’Expressionnisme mais, peu à peu, il tend vers l’abstraction avec des jeux de couleurs. Son travail est considéré comme dégénéré par les Nazis pendant la guerre et il doit s’exiler puisqu’il ne peut plus travailler dans son pays. Il se réfugie en France où il poursuit son art dans l’atelier de sculpture de l’un de ses amis.
Années 1950 : la reconnaissance
Au biomorphisme suit une recherche de géométrie avec des formes et des couleurs élémentaires, très contrastées comme pour Dominante bleue (1951), une toile aujourd’hui conservée au musée de Hanovre. Ses œuvres se caractérisent par un puissant dynamisme et des couleurs denses sans jamais aller trop loin, en conservant toujours le sens de la mesure.
En 1956, il participe à la Biennale d’art contemporain de Venise et parvient enfin à la reconnaissance. Soutenu par Werner Haftmann, le spécialiste de la peinture abstraite allemande, il est exposé trois fois à la Documenta de Cassel, en 1955, 1959 et 1964, c’est dire son importance sur la scène internationale.
En 1964, il fait sensation avec ses toiles suspendues. Nay réalise également dans les années 1960 une grande composition murale pour le hall de l’Institut de chimie de l’université de Fribourg-en-Brisgau. Il meurt huit ans plus tard à Cologne.
L’aquarelle pour explorer les couleurs
L’aquarelle, présentée par la galerie Martin Moeller, relève des recherches de Nay autour des disques de couleurs, ses Scheiben (tranches ou rondelles). Dès les années 1950, il s’applique à reproduire ces sortes de constellations circulaires, ces explosions de couleurs primaires. Sur cette œuvre sur papier, le M qui figure à côté de sa signature, signifie qu’elle a été réalisée à Mondello, près de Palerme. C’est là que Nay se retire fréquemment pendant l’été. Il préfère y travailler l’aquarelle que la peinture car elle lui permet des effets plus subtils.
Ici les disques jaunes et bleus s’agglomèrent comme des bulles de savon, d’autres, vertes, font le passage entre ces deux couleurs primaires. Légères, elles découvrent par endroits le blanc de la feuille. Comme Cézanne le faisait avec ses dessins de paysage, croqués en pleine nature. En 1950, la Kestner Gesellschaft de Hanovre organise une première exposition rétrospective de l’œuvre de Nay.
En 2004, le musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, avec l’aide du Folkwang Museum d’Essen et la Staatliche Graphische Sammlung de Munich, a monté une exposition de ses aquarelles, gouaches et peintures issues de collections allemandes, la première et unique exposition de Nay en France. C’est dire que tout reste à faire dans l’Hexagone pour ce grand artiste !
Un article de Guy Boyer
Directeur de la rédaction de Connaissance des Arts