BRAME ET LORENCEAU
France | Stand 33
Le Salon du Dessin, grand rendez-vous des amateurs d'arts graphiques, ne pourra avoir lieu cette année. Mais, en attendant l'édition 2021, le marché du dessin poursuit son cours malgré la crise. La galerie Brame et Lorenceau présente sur son site Web une encre et gouache sur soie, marouflée sur carton, de l’artiste vietnamien Le Pho.
Depuis quelques années, on voit apparaître au gré des ventes aux enchères, ou en galeries, nombre d’œuvres de Le Pho, cet artiste vietnamien né dans la région de Ha Tay en 1907 et mort à Paris en 2001. Aux côtés de Vu Cao Dam, Hoang Tich Chu et Le Thi Luu, entre autres, Le Pho est l’un des importants créateurs vietnamiens modernes. Il fait le pont entre l’Orient et l’Occident et rappelle l’importance de l’école de Hanoï.
L’Ecole d’Hanoï : au croisement de l’Asie et de l’Europe
L’essor de la peinture à l’huile au Vietnam est effectivement lié à la création de l’École supérieure des Beaux-Arts de l’Indochine à Hanoï. Deux personnages en sont à l’origine. D’un côté Victor Tardieu, qui avait été formé à l’École des Beaux-Arts de Lyon, était parti s’installer en Indochine et y avait peint une toile de 180 m², intitulée La Métropole, pour le grand amphithéâtre de l’université. D’autre part, le peintre Nguyen Nam Son, formé à la calligraphie chinoise, illustrateur pour divers journaux locaux, et qui rencontre Victor Tardieu en 1921. Tous deux créent l’école et Tardieu en reste l’administrateur jusqu’en 1936. Celle-ci a joué un rôle important dans la formation des artistes mais aussi dans le rapprochement avec la peinture européenne car son directeur, Victor Tardieu, avait étudié dans l’atelier de Gustave Moreau en compagnie de Matisse et de Rouault. Plusieurs artistes français sont partis enseigner là-bas, comme Alix Aymé et Joseph Inguimberty, qui enseignent la laque.
Début de carrière en Indochine
Mais venons-en à Le Pho. Né en 1907 près de Hanoi, Le Pho est le fils du tông-dôc, le gouverneur de la province de Ha Tay. Son enfance a été marquée par la disparition de sa mère alors qu’il n’était âgé que de trois ans. Il est élevé par son frère aîné, suit les cours traditionnels de calligraphie et de peinture avant d’entrer au lycée. En 1923, il entre à l’école professionnelle créée à Hanoi pour former les Vietnamiens aux métiers d’art et dirigée par Gustave Hierholtz. Il y suit des cours de peinture sur soie et l’art du laque mais apprend également les techniques européennes.
Dès la création de l’École des Beaux-Arts d’Indochine, il y est admis et en sort diplômé en 1930. Il réalise alors une huile sur toile représentant une scène vietnamienne, toile qui est installée ensuite à la Maison des étudiants de l’Indochine à la Cité internationale universitaire de Paris. Au même moment, il enseigne le dessin au Lycée du Protectorat et au Lycée Albert Sarraut. Il reçoit même des commandes privées (paravents de laque) et publiques (grandes décorations pour le Palais du Gouverneur).
L’appel des grandes expositions
Sur l’invitation de Victor Tardieu qui lui demande de devenir son assistant, Le Pho participe à l’Exposition coloniale de 1931 à Paris. Il travaille sur le Salon de laque du Pavillon d’Angkor avec d’autres jeunes artistes comme Le Van De, Thang Tran Penh, Do Du Thun et To Ngoc Van. Au sein de ce pavillon, ils peuvent également présenter leurs œuvres personnelles dans un espace réservé aux élèves de l’École des Beaux-Arts de l’Indochine. Le Pho en profite pour suivre des cours aux Beaux-Arts de Paris et voyage en Belgique, Pays-Bas et Italie. Il tombe en admiration devant les peintres primitifs. À son retour au Vietnam en 1933, il tire les leçons de ses découvertes en Europe mais veut encore compléter sa formation en séjournant à Pékin l’année suivante pour étudier la peinture traditionnelle chinoise. En 1937, il s’installe définitivement à Paris car cette fois-ci, pour l’Exposition Internationale, c’est lui qui est en charge de superviser la section d’Indochine. Le critique d’art Waldemar-George le repère (« L’œuvre de Le Pho n’est pas un compromis entre l’art vietnamien d’origine chinoise et l’art occidental. C’est une fusion de deux mentalités, de deux mondes et de deux continents ») et Le Pho peut enfin exposer en galerie. André Romanet l’invite à présenter ses œuvres dans sa galerie d’Alger aux côtés de Marquet et Dufy (informations données par l’Association des Anciens du lycée Albert Sarraut de Hanoï grâce à l’aide de Paulette Le Pho, l’épouse de l’artiste).
Un art délicat qui se décline sur toile ou sur soie
Peignant tantôt à l’huile sur toile tantôt à la gouache et encre sur soie (il a dû abandonner le laque à cause d’une allergie), Le Pho se spécialise dans les natures mortes et les figures de femmes et d’enfants. Pas question d’abandonner son originalité à mi-chemin entre l’héritage occidental et l’art traditionnel vietnamien influencé par l’art chinois. Peu de perspective ni de relief dans ses œuvres mais une prédominance donnée à la ligne, sinueuse, douce et expressive. Il aime les sujets traditionnels comme les oiseaux, les bambous et les fleurs de lotus qu’il peint avec de longs pinceaux minces. Ses femmes reprennent les gestes des Madones de Fra Angelico, Simone Martini ou Sandro Botticelli. Avec grâce, elles tiennent une fleur ou ajustent un voile transparent au-dessus de leur tête ou de leurs épaules. On pense à la grâce parfois maniérée du Japonais Foujita.
Élégance et maniérisme à la croisée des traditions
Pensive et mélancolique, la jeune fille qui figure sur le dessin vendu par la galerie Brame et Lorenceau tient de ses doigts graciles quelques mèches de ses cheveux noirs. On dirait les mains des vierges maniéristes du Parmesan, longues et souples. Le fonds est constitué de bambous au feuillage argenté, qui se détachent sur d’autres aux feuilles plus sombres. Cette sorte de paravent végétal empêche toute profondeur. La jeune fille n’a pas de trait caractéristique. Son costume est à peine esquissé. Seule, l’élégance des gestes l’emporte.
Deux sinogrammes et un cachet rouge voisinent près d’une signature à l’encre de chine en bas à droite. Ils signent cette double appartenance de Le Pho dont parle souvent Waldemar-George, qui consacra une monographie à Le Pho en 1970 : « Ici, les routes de l’Asie et de l’Europe se croisent. L’art oriental et occidental engagent, une fois de plus, un dialogue fraternel. » Sylvie Brame annonce que cette encre et gouache sur soie est proposée autour de 80 000 euros.
Portrait de jeune femme par Le Pho est proposé à la vente par la galerie Brame et Lorenceau et estimée 80 000€
Contact : contact@bramelorenceau.com
Un article de Guy Boyer
Rédacteur en chef de Connaissance des Arts