GALERIE STEPHEN ONGPIN
Royaume-Uni | Stand 11
Le Salon du dessin, grand rendez-vous des amateurs d’arts graphiques, ne pourra avoir lieu cette année. Mais, en attendant l’édition 2021, le marché du dessin poursuit son cours malgré la crise. La galerie Stephen Ongpin, à Londres, présente ce dessin d’artichaut rond de Jacques Le Moyne de Mourgues. Le prix annoncé pour cette aquarelle et gouache sur papier est autour de 120 000 euros.
Pour Jacques Le Moyne de Mourgues, cet artiste né à Dieppe vers 1533 et mort à Londres en 1588, la question n’est pas celle de traduire le titre de ses œuvres en français ou en anglais, même si pour cette aquarelle et gouache sur papier du XVIe siècle, on peut s’interroger sur le sens de « Globe Artichoke » qui, en langue de Molière, peut-être « artichaut boule » ou « artichaut rond » pour désigner les camus de Bretagne ou les gros verts de Laon.
Artichaut boule d’épines ou artichaut symbole de l’amour sans attache
Tout est question de sens pour ce légume de la famille des Astéracées, originaire d’Afrique du Nord ou d’Éthiopie, parfait en temps de confinement car il faut planter l’artichaut en terre en avril et surtout laisser un mètre d’intervalle avec ses confrères. C’est le chardon qui, une fois domestiqué et cultivé, a donné le cardon (Cardunculus cardunculus) et l’artichaut (Cardunculus scolymus). Venu de l’arabe al harsufa, cette « épine de la terre » devenue alcachofa en Espagne, articiocco en Italie et artichaut en France lors de son introduction par Catherine de Médicis en 1533, qualifie également chez nous un « assemblage de crocs et de pointes de fer », fixé sur les murs ou les fossés pour empêcher tout passage. Alors artichaut boule d’épines pour faire mal ou artichaut globe pour symboliser la rotondité de la terre et l’amour sans attache, qui se répand à tous vents, à vous de choisir.
L’artichaut des artistes
Les artistes européens ont aimé reproduire ce légume-fleur. Près des asperges et autres pois, l’artichaut figure au XVIe siècle dans l’étal de La Fruttivendola de Vicenzo Campi (Pinacoteca di Brera, Milan) aussi bien que dans la Vertumne d’Arcimboldo (château de Skokloster), ornant l’épaule d’un Rodolphe II végétal. L’artichaut a également plu à Auguste Renoir, qui l’a associé à des tomates, ou à Giorgio De Chirico, qui en 1913 lui fait prendre la forme du thyrse de Bacchus dans sa Mélancolie d’un après-midi (musée national d’Art moderne, Centre Pompidou).
En cernant son dessin d’un cadre à l’encre marron, Jacques Le Moyne a voulu jouer sur l’aspect scientifique de cette représentation d’artichaut. Pour cet artiste huguenot du XVIe siècle, redécouvert récemment, on sent que la nature morte est importante et que les détails précis sont fondamentaux. On sait que Jacques Le Moyne a d’abord travaillé à la cour du roi Charles IX et qu’il était connu comme cartographe. Ce talent l’a conduit jusqu’aux bords de la Floride lors d’une expédition, lancée par René Goulaine de Laudonnière, pour fonder une colonie protestante. Pour l’artiste, il s’agissait de dresser les contours de ces nouvelles terres, le parcours des rivières mais aussi les portraits des indigènes, leurs villages et leurs habitudes. Cette aventure relève pourtant du récit épique avec mutinerie, famine, massacre par les Espagnols, évasion dans les marigots… À son retour en France, Jacques Le Moyne présenta ses dessins au roi de France et établit le récit de ses exploits. Malheureusement, tous ses dessins ont disparu, hormis un seul conservé à la New York Public Library, mais son livre a été publié en 1591, trois ans après sa mort.
Entretemps, comme de nombreux de ses compatriotes huguenots, Le Moyne dut s’exiler de France après les massacres de la Saint Barthélémy en 1572. Il s’installa en Angleterre, rajouta « de Morgues » à son nom et se mit sous la protection de Sir Walter Raleigh et de Lady Mary Sidney, qui le poussèrent à poursuivre son travail sur la nature. En 1586, il publia La Clef des Champs, une série de gravures botaniques sur bois.
En Angleterre, il réalisa également d’autres dessins de plantes, fruits et papillons puisque le Victoria and Albert Museum possède cinquantaine neuf de ces études à l’aquarelle réunies dans un album, le British Museum renferme un autre album d’une cinquantaine de dessins à l’aquarelle et gouache de 1585 et la Rachel Mellon Collection à Upperville (Virginie) en a une soixantaine. Enfin, un dernier ensemble est apparu en 2005 et a été vendu à New York. La feuille de la galerie Ongpin provient de ce dernier album, daté sans doute de la fin des années 1560, quand Le Moyne travaillait encore en France. Cette représentation d’un artichaut rond appartient à ces dessins botaniques réalisés à des fins médicinales puisque l’artichaut a de nombreuses vertus dépuratives, stimule le foie et facilite l’élimination rénale. Des qualités déjà connues au XVIe siècle.
Ce dessin est estimé autour de 120 000 euros et proposé à la vente par la galerie Ongpin.
Contact tel : +44 (0)20 7930 8813
www.stephenongpin.com
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Un article de Guy Boyer
Directeur de la rédaction de Connaissance des Arts