ERIC GILLIS FINE ART
Belgique | Stand 10
A défaut de pouvoir vous retrouver au Palais Brongniart, chaque galerie du Salon du Dessin vous dévoile l'un de ses dessins coups de cœur. Un paysage de Normandie au pastel est en vente sur le site de la galerie Éric Gillis Fine Art à Bruxelles. Il est dû à Ker-Xavier Roussel et prépare une grande toile représentant Lucy Hessel lisant près de la côte normande, à Sallenelles.
Pour Noémie Goldman, la directrice de la galerie Éric Gillis (noemie@eg-fineart.com), il s’agit d’un très beau pastel de Roussel, un artiste de la fin du XIXe siècle que l’on avait surnommé « le nabi bucolique ». Chaque membre du groupe nabi (qui veut dire prophète en hébreu), réuni autour de Paul Sérusier vers 1888, avait en effet un qualificatif : Paul Sérusier était « le nabi à la barbe rutilante », Pierre Bonnard « le nabi très japonard », Maurice Denis « le nabi aux belles icônes » et Édouard Vuillard « le nabi zouave ». Après avoir traîné leurs guêtres et leurs pinceaux à l’Académie Julian ou aux Beaux-Arts de Paris, ces artistes se regroupent pour exprimer leurs différences face au naturalisme et à l’impressionnisme. Leurs réunions ont lieu dans leur « temple », qui est l’atelier de Paul-Elie Ranson au 25 du boulevard de Montparnasse. Tous veulent se débarrasser d’une peinture imitant trop fidèlement le réel. Ils décident d’utiliser des couleurs pures et donnent une dimension symbolique et sacrée à leurs toiles et dessins. Le groupe n’est actif que quelques années et, vers 1900, chacun prend une voie différente gardant une facture classique mais allant tantôt vers des contenus religieux (Maurice Denis) tantôt vers un hédonisme haut en couleurs (Pierre Bonnard, Ker-Xavier Roussel) ou un érotisme parfois glacial (Félix Vallotton).
Souvenir d'un séjour en Normandie
Mais revenons à notre pastel de Ker-Xavier Roussel. Il se situe justement à ce moment de passage, à la fin de la période nabie. Après s’être concentré sur de petites peintures décoratives influencées par le japonisme, Roussel se lance dans des paysages à l’atmosphère mélancolique, aux couleurs douces à la manière de Corot. Depuis 1903, Ker-Xavier Roussel et sa famille (il est marié à Marie, la sœur de Vuillard) passent l’été en Normandie où ils louent une maison dans le petit village de Sallenelles, dans le Calvados. Son ami, le peintre Vuillard n’est pas loin car il réside à Amfreville, chez Jos Hessel, d’origine belge. Celui-ci est le cousin de Josse et Gaston Bernheim dont il dirige la galerie. Hessel devient le marchand exclusif de Vuillard, et sa femme Lucy est le modèle favori du peintre, mais aussi sa maîtresse pendant de nombreuses années. Ce pastel représente justement le paysage de Sallenelles, où réside Roussel, et a servi de base préparatoire pour un tableau plus grand où figure Lucy Hessel en train de lire (vendu chez Artcurial en octobre 2012).
Ressentir la lumière
Ce dessin montre la grande habileté de Roussel à représenter les effets de lumière à travers les arbres, l’ombre sur le chemin sablonneux, le vert sombre des troncs et des buis, quelques taches d’un vert plus vif et plus frais, quelques touches de jaune, pour des genêts sans doute. Il excelle à donner la profondeur de la scène avec cette légère plongée qui conduit vers la Manche d’un bleu clair et sourd. Tout est en retenue, en subtilité. « L’œuvre figurera dans le catalogue raisonné de Roussel, que rédige actuellement Mathias Chivot, précise Noémie Goldman. Il aurait pu faire partie de l’exposition de 2019 du musée de Giverny consacrée à « Ker-Xavier Roussel : Jardin privé, jardin rêvé ». Son prix annoncé se situe sous les 15 000 euros.
Un article de Guy Boyer
Directeur de la rédaction de Connaissance des Arts