GALERIE ERIC COATALEM
France | Stand 01
Le Salon du dessin, grand rendez-vous des amateurs d’arts graphiques, ne pourra avoir lieu cette année. Mais, en attendant l’édition 2021, le marché du dessin poursuit son cours malgré la crise. La galerie Eric Coatalem, à Paris, propose en ligne un dessin double face du peintre d’origine suisse Henry Fuseli (1741-1825). Son prix annoncé est autour de 90 000 euros.
Les Suisses l’appellent Johann Heinrich Füssli car il est né à Zürich mais les Anglais lui préfèrent Henry Fuseli car ils le considèrent comme le peintre des visions shakespeariennes, au vu de ses nombreuses œuvres fantastiques présentées à la Tate Britain de Londres. Il est originaire d’une famille nombreuse de dix-huit enfants dont le père est peintre de portraits et de paysages. Adolescent, il se plonge dans la littérature de Dante, Shakespeare et Milton. Il est l’ami de Lavater, le futur théoricien de la physiognomonie (une méthode d’observation de l’apparence physique d’une personne pour en déterminer son caractère ou sa personnalité).
Dès 1765, il est en Angleterre et, sur les conseils du peintre Joshua Reynolds, se lance dans la peinture. Après un voyage en Italie, où il change son nom de Füssli en Fuseli et admire Rosso et Le Parmesan, il reçoit la commande d’une Shakespeare Gallery pour le conseiller municipal John Boydell, éditeur et graveur. Les personnages de ses toiles sont allongés comme dans les œuvres des maniéristes florentins qu’il a vu en Italie, les fonds sombres, les éclairages dramatiques. Certaines de ces peintures d’histoire sont gravées et publiées dans l’édition anglaise de la Physiognomonie de Lavater. Pour la Revue analytique, fondée par Joseph Johnson, il écrit des critiques et des essais.
Professeur à la Royal Academy de Londres, il devient académicien en 1790. Fort de l’entreprise menée pour Boydell, il se lance ensuite dans une Milton Gallery, un projet qui durera dix ans mais qui se soldera par un échec commercial (La Tate Britain possède, entre autres, une Création d’Eve tirée du Paradis perdu de Milton). « Chez Fuseli, écrit Goethe dans son Journal,la peinture et la poésie sont toujours aux prises ». Bien vu pour qualifier un peintre qui chercha à trouver des équivalences entre peinture et poésie !
Achille et Memnon
Dans le double dessin de la galerie Coatalem, le théâtre n’est pas loin. La première face est ornée d’une scène qualifiée de Psychostasie d’Achille et de Memnon. Le revers est une étude pour un homme aux bras levés. Tous deux sont des lavis gris, mais le premier est rehaussé de crayon et de lavis bruns et roses tandis que le second est réveillé par des traits de craie noire. La référence à Eschyle est directe. Fuseli s’inspire du récit de la psychostasie (le jugement divin d’un défunt) par le dramaturge grec, lorsque celui-ci raconte l’histoire des deux héros qui s’affrontent en combat singulier lors de la bataille de Troie. Dans le récit d’Eschyle, on apprend qu’avant la lutte à mort, leurs mères implorent Jupiter pour qu’ils soient épargnés. Celui-ci ordonne une pesée des âmes, qui penche en faveur d’Achille car l’âme de Memnon est plus légère.
Le dessin, lui, d’une composition très lisible, évidente, se concentre sur le défi. Memnon, à gauche et vu de profil, lève le bras droit et tient un lourd bouclier de sa main gauche. Il combat du côté des Troyens. Achille, bouclier et lance en mains, se cambre vers l’arrière et affiche sa musculature, vue en contre-plongée. Lui, le fils de Pélée et Thétis, quasi invulnérable si ce n’est au talon, se bat avec les Grecs. L’arrière-plan de la composition dessinée est constitué des soldats, que l’un d’entre eux empêche de grimper sur le tertre où se déroule la scène, et d’une nuée rapidement posée au lavis brun. On retrouve bien dans cette double feuille la force dramatique et l’angoisse qui habitent les pièces d’Eschyle. « Les idées qu’exprime son théâtre,souligne l’helléniste française Jacqueline de Romilly à propos d’Eschyle, se dégagent toutes seules, sous le coup de l’anxiété, à peine claires, brusques comme des révélations ».
En 1800, Fuseli reprendra ce sujet de la psychostasie pour un dessin impressionnant conservé à la Pierpont Morgan Library de New York et une toile exposée quatre ans plus tard à la Royal Academy de Londres, œuvre aujourd’hui disparue. Au revers du dessin de la galerie Coatalem, on voit une esquisse de dos d’homme, soulignant les muscles par un beau jeu d’ombres et de lumières. « Si John Constable, Benjamin Haydon et William Etty comptent parmi les élèves de Fuseli, rappelle la galerie Coatalem, d’autres artistes se revendiquent de son influence tels que, entre autres, John et Alexander Runciman, John Brown, Sergel et Abildgaard ». Une mention très juste sur le rayonnement international de Fuseli tant l’on peut retrouver cet attachement à traduire les corps masculins et cette force chez le sculpteur suédois Johan Tobias Sergel et chez le néoclassique danois Nicolai Abraham Abildgaard, auteur d’un Philoctète de foire et d’une réponse au célèbre Cauchemar de Fuseli, près de vingt ans après le chef d’œuvre du maître.
Ce double dessin est estimé autour de 90 000 euros et proposé à la vente par la galerie Eric Coatalem
Contact : coatalem@coatalem.com
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Un article de Guy Boyer
Directeur de la rédaction de Connaissance des Arts